
Margaux Brugvin
Après des études d'histoire de l’art à l’Institut Catholique de Paris et à École du Louvre où elle réalise un master de marché de l’art et se spécialise en art du XXème et du XXIème siècles, Margaux travaille dans le monde de l’art pendant 4 ans ; d’abord en galerie contemporaine puis en foire. Polyvalente, c’est la rédaction, l’échange et le partage avec le public et les artistes qui lui plaisent tout particulièrement. Attirée par le domaine de la communication et du digital, elle se forme seule, et devient social media manager au sein d’une start-up à succès puis dans un cabinet d’architecte.
Devenue, en 2018, social media manager et content editor free-lance, elle travaille en étroite collaboration avec différents clients dans le domaine culturel et artistique, mais pas seulement.
Toujours passionnée d’art, elle partage ses visites d’expositions et ses découvertes culturelles sur son compte Instagram personnel créé en 2018. Elle a pour objectif de former une communauté autour de ces sujets. Depuis mars 2020, elle réalise chaque semaine une courte vidéo de 10 minutes environ qu’elle publie sur Instagram, et dans lesquelles elle présente une artiste femme. Ce projet qu’elle a en tête depuis longtemps rencontre vite le succès et ses vidéos sont vues par des milliers de personnes.
Sa première vidéo présentant Frida Kahlo comptabilise 6 621 vues, celle de Louise Bourgeois est celle qui en compte le moins avec 4 470 vues, et celle concernant Hilma af Klint culmine avec plus de 37 057 au 1er décembre 2020.
Consciente de n’avoir durant ses études que rarement étudié le travail et la vie des créatrices, ces portraits ont pour but de mettre en lumière les artistes qui, à de rares exceptions près, sont les grandes absentes du monde de l’art par le simple fait de leur sexe.
Margaux est particulièrement réfléchie quant aux choix et à l’organisation des portraits qu’elle réalise : une stratégie très précise est mise en place. En commençant sa série de vidéos avec la créatrice la plus connue, Frida Kahlo, elle a pour objectif de montrer un autre aspect de sa personnalité, de l’héritage et du travail de la peintre. Une “tête d’affiche” aussi célèbre lui permettait une visibilité importante, mais, afin de démontrer rapidement sa démarche globale elle réalise dès la semaine suivante une vidéo présentant une créatrice beaucoup moins connue du grand public, Lynette Yiadom-Boakye.
Ses présentations sont construites par cycles de 3 vidéos autour d’un thème, d’une histoire qu’elle tente d’explorer sous divers angles de vue (l’art féministe, la photographie, artistes queer, l’abstraction…).
Ne présenter que des artistes femmes c’est un acte féministe en soit et Margaux est particulièrement fière de cet engagement. Elle essaye également de présenter des artistes aux origines géographiques diverses. Selon elle, le combat féministe n’a pas de sens aujourd’hui, s’il ne s’associe pas à toutes autres formes de luttes comme l’anti-racisme, ou la reconnaissance d’identités sexuelles et de genres. Autant de sujets qui ne sont pas vraiment explorés par les institutions culturelles classiques et qui sont même volontairement mis de côté depuis toujours par ces dernières.
“On a tendance à attendre des artistes racisés qu’ils aient un discours sur la race dans leur art, or ce n’est pas leur cas à tous. Mais c’est un critère d’invisibilisation malgré tout, qu’on le veuille ou non.”
Avec ces vidéos elle s’adresse à tous et cherche à toucher un spectre très large de spectateurs. Pour autant, elle ne définit pas vraiment sa démarche comme de la vulgarisation mais plutôt comme de la médiation culturelle.
"Les musées devraient vraiment commencer à considérer Instagram comme un outil de médiation, pas seulement de communication."
En ce qui concerne le choix de la plateforme, Margaux connait bien Instagram, ses spécificités, son fonctionnement, ses enjeux, et ses limites.
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Elle apprécie les différentes fonctions qui lui permettent de relayer des information et réalise, en parallèle de ses vidéos hebdomadaires des posts et des stories ce qui lui permet de tisser et d’entretenir des liens avec sa communauté et d’échanger au sujet des questions qu’elle soulève à travers ses portraits de créatrices.
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La plateforme permet à Margaux de discuter avec son audience, de comprendre ses attentes et ses envies. Ces échanges sont décrits comme particulièrement intéressants, enrichissants et “éducatifs” par Margaux qui cherche à nourrir le débat féministe autour des questions de genre, de race (même si la race n’existe pas en tant que fait naturel, physique, anthropologique ou génétique, il est courant dans la recherche, notamment anglo-saxonne, de recourir au concept de race pour nommer les individus subissant le racisme, on les désigne communément sous le terme « racisé.e.s »). Instagram offre également à Margaux la possibilité de voir ses vidéos partagées par ses spectateurs. Cette notion est très importante pour elle et c’est la grande force de cette application collaborative qui est plus qu’un simple outil de communication : un moyen d’expression, de transmission.
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La communauté qui s’est peu à peu constituée autour de Margaux est particulièrement bienveillante et cela constitue une chance dont elle est consciente et reconnaissante. Le harcèlement étant très récurrent sur les réseaux sociaux, visant notamment les femmes qui s’y expriment.
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Les vidéos doivent être courtes, aux alentours de 10 minutes, car les utilisateurs d’Instagram consomment le contenu de l’application sous forme de “snacking” (ce terme est utilisé pour décrire une attitude de consommation rapide vis-à-vis du contenu proposé sur les réseaux sociaux). Margaux veille aussi à dynamiser ses vidéos avec des photos illustrant son propos.
Malgré tout les limites d’Instagram sont présentes et nombreuses :
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L’interface de l’application et le format utilisés par Margaux ne sont pas particulièrement prévue pour le travail universitaire ou la recherche. Il lui est par exemple très difficile de partager les sources qu’elle utilise dans ses recherches préparatoires. C’est une informations qu’elle souhaite pourtant partager mais ne sait pas encore sous quelle forme.
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La question du droit d’images est aussi une donnée à prendre en compte et difficile à intégrer. Le réseau social permet une diffusion facile des images et modifie notre rapport à ces dernières. Il semble peu naturel pour une majorité d’utilisateurs que des droits protègent les images. Et, bien qu’elle mentionne les crédits associés aux auteurs des photos qui illustrent ses vidéos, Margaux n’est pas sûre de respecter entièrement les règles liées à la propriété intellectuelle, les droits d’auteurs…
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Le système d’algorithme favorise la censure en diminuant la visibilité des posts considérés comme moins intéressants ou moins conventionnels. Impossible par exemple de montrer des corps nus ou à demi-dénudés (lorsqu'il s'agit de femmes).
“C’est paradoxal qu’une entreprise aussi puritaine, sexiste, validiste soit la plateforme sur laquelle les combats féministes, anti-racistes et égalitaires sont concentrés.”
“Comment faire pour exister quand on est en dehors des réseaux sociaux ? Instagram c’est primordial pour avoir une visibilité.”
Enfin une question capitale subsiste en ce qui concerne la pratique de Margaux. La réalisation de ses vidéos étant totalement autonome, elle n’est pas rémunérée pour la création de ses vidéos qui mobilise environ chacune trois jours de travail (recherches, écriture, réalisation, montage, sous-titrage). En effectuant certaines missions en collaboration avec diverses associations, collectifs, ou marque, sa pratique devient professionnelle dans le sens ou elle n’agit pas seulement par passion mais se trouve rémunérée.
Par exemple, en s'associant à une marque de prêt-à-porter, sa communauté s'agrandit et son audience s'élargit. Mais tout en l’éloignant du cercle restreint des professionnels du milieu de l’art quasi-exclusivement “dirigés” par les institutions. Notamment dans le domaine des réseaux sociaux.